Étincelle : vaisseaux, combat et inertie.
Un jeu terminé, c’est du concret, du solide. Les règles sont précises, les conditions de victoire bien établies, ainsi que les moyens pour arriver. Le début, par contre, est nettement plus vague. On n’a rien, ou si peu. Une petite étincelle, une envie floue.
Un matin, je jouais avec l’idée d’un combat spatial peu complexe. Un vaisseau par joueur, des actions simples : avancer, tourner, tirer… et on se tape dessus joyeusement. J’ai déjà créé un jeu dans ce style, avec programmation simultanée suivie de la résolution commune des mouvements. Ici, j’envisageais plutôt un tour par tour, où on terminerait en choisissant secrètement son mouvement du tour suivant.
Ce genre de rêverie forme le quotidien d’un auteur. La plupart du temps, le rêve s’évapore. Mais de temps à autre, il s’accroche, se développe et aboutit à quelque chose qui vaut la peine d’être travaillé. L’idée doit également arriver au bon moment. Je sortais du gros chantier d’Olympos et j’imagine que l’idée de travailler sur un jeu avec peu de règles a dû m’apparaître comme un changement bienvenu.
A ce moment, je me concentre sur les mouvements. J’ai mon petit vaisseau téléguidé, plus un jouet qu’un jeu. Comment le diriger ? J’envisage plusieurs moyens : des cartes avec des ordres plus compliqués ou des ordres de base avec lesquels composer des séquences complexes, tous les ordres en main ou tirage au sort de sa main, etc. Une constante : il ne faut pas trop de possibilités, car mon vaisseau ne sera pas seul dans l’arène. Je veux qu’on puisse anticiper les mouvements adverses, ce qui sera difficile si les options sont trop nombreuses. Sans tomber dans l’excès inverse : il faut maintenir de l’incertitude.
Au début, il n’y a pas d’ordre Avancer, les vaisseaux sont toujours en mouvement, ils ont une certaine inertie. Mais l’idée de séquence composée d’ordres simples fait son chemin et un jour, j’y ajoute celle de garder la séquence tout en la modifiant un peu. À chaque tour, on fera presque la même chose qu’au tour précédent – le mot-clé est « presque ». L’ensemble me séduit : on garde l’inertie, les choix d’actions ayant un effet sur plusieurs tour et on peut maintenant envisager de changer de vitesse ou même de ne pas bouger du tout. On peut composer des mouvements plus complexes, sans perdre la capacité d’anticiper les actions adverses.
Le design d’un jeu n’est pas un long fleuve tranquille, on avance par paliers. Une idée émerge de la mêlée et s’impose.
Transformations : de l’espace à la boue, les robots jumeaux
Il y a eu d’autres paliers de ce genre.
À ce point, j’ai avant tout un objet à manipuler, le combat est secondaire. Plutôt qu’un gros clash central, on pourrait inciter les joueurs à se balader sur le plateau, pour aller ramaser quelque chose par exemple. Les cristaux débarquent ! C’est aussi à ce moment que les vaisseaux se transforment en robots. Je vois d’énormes machines, les chenilles dans la boue, creusant avec force, plutôt que des vaisseaux silencieux à la pêche aux astéroïdes. Le jeu change d’âme. Du pur combat, on passe à une compétition minière musclée.
Je pense déjà 3D, avec de gros cristaux, qui resteraient dans les bras des robots. Il faudrait donc les déposer quelque part. Facile : chaque joueur aura sa base. Est-ce que j’ai pensé à Full Métal Planète ? J’avoue que je ne m’en souviens plus. Mais c’est un jeu que j’adore. Il était probablement à l’affût, quelque part dans ma tête.
Un autre tournant primordial provient d’un prototype que je n’ai jamais terminé. On y contrôlait plusieurs objets, mais avec des moyens limités. L’idée s’impose très vite. D’une part, je cherchais déjà à multiplier les objets sur le plateau, pour obtenir une certaine densité, un grouillement chaotique. Deux robots par joueur, bien sûr ! Ensuite, il y a cette image, deux gosses prêt à faire des bêtises aux deux extrémités de la pièce, je ne peux m’occuper que d’un à la fois, mais lequel ? Choix cornélien et angoisse, des ingrédients ludiques toujours bienvenus. Enfin, je veux toujours pouvoir anticiper les mouvements adverses. Avec une modification par tour, je vois en partie ce que peuvent faire les autres. Mais en partie seulement.
Un petit jeu, tu parles !
C’est à ce stade que j’ai fabriqué un prototype complet. Via quelques dizaines de parties en solo, j’ai déterminé un premier ensemble de règles. Et enfin invité des amis pour le premier test !
« J’ai un petit jeu simple et familial à vous faire essayer. Une heure grand max. »
Trois heures plus tard, on y était encore… J’imagine qu’il est plus facile de deviner les coups adverses quand on joue tout seul.
Certains défauts sont faciles à corriger. Dans cette version, on joue jusqu’au dernier cristal, ce qui peut prendre beaucoup de temps. Au cours des tests, la fin de partie va fortement évoluer.
Le nombre de cristaux sur le plateau augmente régulièrement de partie en partie. Tous les coins du plateau deviennent intéressants plutôt que d’avoir de gros attroupements autour des trop rares cristaux. Et surtout, ça incite à jouer avec ses deux robots plutôt que se concentrer sur un seul, le contrôle de deux objets d’une seule main étant une des clés du jeu.
Il reste un problème récurrent. On termine son tour en modifiant secrètement son programme en vue du tour suivant (en pratique, on place un ordre derrière un écran et on le pousse en place au début du tour suivant). Mais régulièrement, soit le suivant joue avant que cet ordre n’ait été choisi (c’est naturel : mon voisin a fini de bouger, c’est à moi de jouer), soit le suivant attend parce qu’il n’a pas compris que son voisin avait choisi l’ordre (ça se passe derrière un écran). « Solution » : un pion « joueur en cours », qu’on passe à son voisin en faisant un Beeep. Mais quand lors du test suivant on constate de nombreuses phases où rien ne bouge, jusqu’à ce qu’un joueur pousse son voisin du coude « Psst, c’est à toi de dire Beeep ! ».
La vraie solution consistera à déplacer la phase de modification du programme au début du tour. Après coup, la solution semble évidente. Mais ce fût le changement le plus difficile à mettre en place. Pour une raison très simple : pas que cette idée fût compliquée à trouver, mais cette notion de choix secret se trouvait dans le projet depuis le tout début. Il semblait impossible de l’abandonner. Avant de se rendre compte qu’elle servait deux buts : donner de l’incertitude et favoriser la planification. Ce que la nouvelle version fait tout autant.
À partir de là, le jeu est sur ses rails. Il y aura encore de nombreux ajustements (fin de partie, nombre de cristaux, positions des bases, positions de départ…), mais plus de tournants majeurs.
Philippe Keyaerts
Ne manquez pas le 'making Of' de Twin tin Bots, qui sera publié prochainement ici.